La condition humaine
Incipit
Malraux a écrit « La condition humaine » en 1928. Le roman se déroule dans un cadre historique : la révolution communiste en chine en 1927.
Le début du roman est assez particulier car on ne retrouve rien de traditionnel. Aucun élément d'exposition. L'auteur met en scène son personnage, Tchen, représentant le terroriste pur et dur, presque mythique. Les trois premiers paragraphes de la condition humaine ont la particularité de confronter Tchen à l'acte de tuer un homme.
Nous allons d'abord étudier les caractéristiques de l'énonciation, puis les éléments de création d'une atmosphère.
I - Les caractéristiques de l'énonciation
- Quand on lit le début du roman, on est surpris. C'est une entrée « in media res ». Le nom du personnage est cité en premier mot.
- Il y a mélange des points de vue : narrateur omniscient + focalisation interne.
1. Le point de vue.
a. Le narrateur omniscient
- Il ne donne aucun élément d'explication sur aucun des deux personnages. Ni sur Tchen, ni sur sa cible. Il ne nous dit pas pourquoi il va le tuer.
- Il voit le personnage comme s'il le connaissait ; d'où une certaine frustration du lecteur.
- Le narrateur omniscient connaît l'action de Tchen. Le fil conducteur du passage est l'acte de tuer cet homme.
- Il y a une certitude de l'action : « cet homme devait mourir ».
- Le narrateur omniscient connaît les certitudes et les limites du personnage : « l'angoisse lui tordait l'estomac », « fasciné par ce tas de mousseline blanche ».
- C'est ici bien le narrateur omniscient qui parle, car seul un personnage extérieur peut voir Tcheng fasciné ; un personnage fasciné ne remarque pas les détails (« de la chair d'homme »).
- Tchen est fasciné par le pied.
b. La focalisation interne.
- La plupart des éléments de la scène sont donnés par les sensations du personnage. Exemples : sensations visuelle, auditive : « mousseline blanche », « corps moins visible qu'une ombre », « Klaxon », « vacarme ».
- La tournure des phrases nous permet de voir qu'il s'agit d'une focalisation interne.
- Une problématique se pose au personnage : au fur et à mesure que le texte se déroule, on comprend la motivation de Tchen : il faut qu'il empêche sa cible de crier.
- On retrouve la focalisation interne par les phrases simplifiées, voire elliptiques : « combattre, combattre », « découvert ? ». Certaines réflexions montrent la focalisation interne : « il se répétait », « il savait qu'il le tuerait ».
2. La temporalité
- Il y a une double indication de temps (21 mars 1927, minuit et demie), significatives d'un côté, peu importantes de l'autre.
- Si elles sont au début peu significatives, seront plus importantes dans les textes suivants.
- On a l'impression d'un temps immobile, non mesuré et non mesurable. Le seul marqueur est l'évolution des klaxons. Aucun autre repère ne montre que le temps passe.
3. Le lieu
- On ne sait pas dans quel contexte se situe le roman.
- La condition sociale est relative au temps et à l'espace. Les conditions humaines sont absolues, indépendamment du temps et de l'espace. L'homme est donc toujours confronté aux mêmes problèmes.
- Le lieu de l'action donne l'idée d'un huis clos ; une chambre.
- Les relations avec l'extérieur se font par un système d'opposition. Opposition ombre/lumière. La lumière de l'extérieur donne son éclairage à l'intérieur. C'est d'ailleurs la seule phrase descriptive du texte.
- On peut comparer le silence de la chambre au bruit de l'extérieur. Il y a disproportion : les klaxons de 4/5 voitures se transforment en vacarme.
- Le point de vue de Tchen est double : l'extérieur est considéré comme une menace ou un monde différent (là-bas, dans le monde des hommes). L'extérieur apparaît comme un danger qui menace Tchen. C'est une impression surprenante pour le lecteur.
4. Le personnage et son action
- Le personnage est dénommé par son prénom. Plus tard dans le roman, on aura une description plus poussée de lui.
- Il est déjà défini par l'action qu'il est sur le point de commettre. Il est confronté depuis le début du texte à l'action violente : « combattre », « frapper », « tuer », « exécuter ou non ». La violence accompagne le personnage.
II - Création d'une atmosphère
- L'action du début du roman est accompagnée d'un climat d'angoisse.
1. L'angoisse du personnage
- Le terme d'angoisse apparaît dès la seconde phrase. Il est associé à un verbe violent : « tordrait ».
- L'angoisse apparaît par plusieurs autres procédés/tournures :
- Les deux questions qu'il se pose : « pris ou pas ? », « découvert ? »
- Il y a oscillation entre certitude et incertitude, ce qui montre justement l'incertitude.
- De même, on a l'idée qu'un danger menace le personnage. Il provient à la fois de l'extérieur (klaxons) et de l'intérieur (victime qui pourrait crier).
2. Les jeux d'opposition
- On retrouve deux jeux d'opposition principaux : ombre/lumière, et lignes verticales/horizontales.
a. L'opposition ombre/lumière
- Elle est évoquée plusieurs fois : « seule la lumière venait », coupés par les barreaux de la fenêtre ...pour en accentuer le volume et la vie.
- Le vocabulaire de Malraux est extrêmement concret. Il sécrète une certaine violence : « Grand carré d'électricité », « grand rectangle ».
b. Organisation de l'espace
- Image du lit, du corps allongé = horizontalité
- Moustiquaire qui descend = verticalité.
- L'opposition de lumière crée un contraste qui amène l'angoisse.
- Deux détails sont symboliques : la moustiquaire et le pied.
- Moustiquaire : obstacle qui empêche Tchen de frapper sa victime. A deux reprises, elle est citée.
- Le pied. Signification, angoisse.
Conclusion : Ce début de roman est étonnant par sa modernité. Bien avant le nouveau roman, qui se développera à partir des années 50, Malraux rompt avec la tradition romanesque dans la mesure où il donne le minimum d'informations. Les informations données ne sont donc pas à retenir, en revanche, la création d'une atmosphère de polar/roman d'aventure est à signaler.