GROUPEMENT DE TEXTES : L’HUMANISME

SYNTHÈSE

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Le siècle de la Renaissance ne peut plus être comparé au Moyen-Âge sur bien des plans. L’envie d’explorer le monde (Christophe Colomb, Vasco de Gama), le désir des sciences (Copernic, Gallilée, Palissy…), et surtout le développement de l’imprimerie font progresser la culture du XVIe siècle. Cependant, la monarchie absolue et centralisée est toujours présente et de nombreuses guerres de religion enflamment la France.

Dans ce contexte religieux, politique et culturel aussi troublé que riche, un vaste mouvement philosophique et littéraire de découvertes, de réformes et d’espérances se met en place : l’humanisme, fondé sur la prise en charge de la personne humaine et de son épanouissement. Les humanistes du XVIe siècle sont le plus souvent érudits, pacifiques, réformateurs et contestent les mœurs et institutions de leur temps, qu’ils qualifient de "barbares".

" Savoir par cœur n’est pas savoir. ". En effet, un des principaux projets humanistes est de modifier l’éducation moyenâgeuse dispensée aux nobles de l’époque. Rabelais et Montaigne, les principaux humanistes de l’époque, dispensent leurs projets et idées pédagogiques (assez révolutionnaires) à travers "La fiction des Géants" du premier et les "Essais" du second.

Bien que les deux humanistes aient des idées assez proches au sujet de l’éducation, et que plusieurs principes leur soient communs, certaines oppositions nuancent les deux opinions.

I – Les similitudes entre les deux auteurs

Les deux humanistes, par leur appartenance au même mouvement philosophique, ont généralement des idées similaires : parmi les principes de base de l’humanisme, on peut par exemple citer la référence permanente à l’antiquité gréco-romaine comme le soutiennent la présence de noms d’auteurs grecs (Aristote, Platon…) et romains (Pline, Quintilien…) dans les différents textes. Ils glorifient aussi la compréhension que doivent avoir les élèves de ce qu’ils apprennent : le fait d’apprendre par cœur est vivement blâmé. Est également commun aux deux auteurs une idée : celle de l’éducation d’un seul enfant noble mâle à la fois.

Mis à part ces quelques analogies parfaites, les opinions de Rabelais et Montaigne concordent plus approximativement au sujet de diverses conceptions.

I.1 – L’utilisation de toutes ses facultés

Deux concepts principaux se côtoient en effet dans les deux textes : le corps et l’esprit. Les auteurs utilisent chacun des procédés personnels pour faire admettre au lecteur que l’éducation physique est aussi importante que celle de l’intellect : Gargantua récite alternativement sa leçon et joue à la paume, et Montaigne affirme que "ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps que l’on forme : c’est un homme. ". Ce dernier compare d’ailleurs le corps et l’esprit à deux chevaux attelés au même timon. L’indissociabilité des deux notions est vivement mise en valeur dans les deux textes.

Cependant, on peut discerner des dissemblances dans la similitude : Rabelais fait vraiment utiliser toutes ses facultés à son géant : mis à part l’exercice sportif et les leçons, les louanges au Seigneur sont une originalité de son texte, ainsi que le soin du corps et l’hygiène dont font preuve Ponocratès et son élève, hygiène dont cette époque était, selon Rabelais, complètement dépourvue. Il introduit à travers cette comparaison implicite la vive critique de son temps dans divers domaines de l’éducation, critique que fait également Montaigne à travers d’autres arguments.

I.2 – Critique de leur temps

La plupart des idées humanistes étant absolument à l ‘encontre de la barbarie moyenâgeuse (les concepts d’élévation de l’esprit humain, de philosophie ou de pacifisme étaient nouveaux en France), il est normal que le programme humaniste critique son temps. Ces attaques ne visent pas à rendre l’éducation idéale, mais plutôt "acceptable ". Les principes humanistes comme la complémentarité corps/esprit sont estimés "avancés ", et contribueront, selon eux, à rendre meilleure la formation des élèves.

Rabelais et Montaigne critiquent tous deux, plus ou moins implicitement, la violence présente dans les collèges de l’époque : le premier compare la grossière et inefficace éducation brutale (au fouet) des sophistes à la douce et efficace méthode de Ponocratès. De son côté, le second auteur affirme que les classes sont garnies de "tronçons d’osier sanglants " (Ce dernier n’est cependant pas contre l’emploi d’une douce sévérité). La violence, on le voit, est nettement critiquée à l’unanimité par tous les humanistes.

Cependant, les deux auteurs critiquent chacun une autre forme des défauts éducatifs de leur temps qui leur tiennent à cœur : la punition injuste pour Montaigne et "l’apprendre idiot " pour Rabelais.

Bien d’autres concepts sont critiqués par les humanistes : le manque d’hygiène (déjà cité), la "trogne effrayante " des percepteurs, et d’autres petites "revendications " qui tendraient à rendre l’éducation plus agréable pour le maître et l’élève.

 

I.3 – Une éducation plus agréable

Pour que l’apprentissage soit un plaisir et qu’elle soit efficace, les deux auteurs veulent la rendre plus agréable par des moyens différents.

Rabelais pense que la présence d’exercice physique à caractère ludique et d’hygiène suffit à la bonne marche de l’éducation. De son côté, Montaigne a de plus vastes ambitions : il désire joncher les collèges de fleurs et de feuilles, y représenter diverses divinités en peinture, et pense à utiliser des stratagèmes pour que l’élève associe le plaisir à l’utile ("on doit sucrer les aliments qui sont nuisibles à l’enfant ") et le dégoût au pernicieux ("on doit répandre du fiel sur les aliments qui lui sont nuisibles "), et à mener tout cela dans la douceur, pour que l’éducation soit enfin un plaisir et non un supplice comme elle l’est au XVIe siècle.

On se rend compte que les divers aspects des projets humanistes se complètent et s’enrichissent mutuellement. Cependant, Rabelais et Montaigne on chacun des convictions dissemblables qui dépassent le cadre de l’humanisme pur.

 

II – Les dissemblances entre les deux auteurs

Il s’agit de projets personnels ne concernant pas l’humanisme en lui-même mais des idées pour l’extension de la doctrine de la part des deux auteurs.

II.1 – Rabelais

L’humaniste du XVIe nous montre, à travers Gargantua, son programme démesuré. Le géant doit se lever à quatre heures du matin pour suivre jusqu’au soir des cours, plaisants selon Rabelais. Tout instant de la journée est ingénieusement utilisé pour l’enrichissement de l’élève : d’abord on lit la "divine écriture " puis apprend sa leçon, observe si le ciel est conforme aux prévisions de la veille, récite sa leçon, fait de la lecture, joue à la paume… aucun moment n’est sacrifié à la détente et au repos, qu’il soit physique ou intellectuel. Montaigne, pour sa part, s’écarte assez des ambitions démesurées, il faut le dire, de la pédagogie Rabelaisienne.

II.2 – Montaigne

Montaigne est plus raisonnable que son prédécesseur sur ses projets d’amélioration de l’éducation. Sa principale originalité est de vouloir endurcir son élève aux difficultés de la vie (le vent, le froid, au soleil, au danger…) et l’inciter à ne pas avoir de considération et de délicatesse pour des choses qu’il estime secondaires (le manger et le boire…). Il désire que son élève soit "un garçon vert et vigoureux ", et non pas un noble empâté et efféminé, qu’il soit habitué à tout. Il n’apporte pas d’importance à l’inutile luxe et pense que seul l’homme vaut quelque chose, et non pas ses manières ou sa distinction.

 

Ainsi, ces deux textes de Rabelais et de Montaigne donnent une bonne vue d’ensemble de l’éducation selon des principes humanistes au XVIe siècle. Ils sont d’ailleurs complémentaires : les auteurs ont finalement exprimé des opinions globalement similaires, mais assez dissemblables si on s’en approche un peu plus.

La preuve que ces idées, révolutionnaires à l’époque, étaient excellentes est que la plupart font maintenant partie intégrante de l’éducation contemporaine : la présence d’éducation physique et sportive dans nos cours, le respect de l’élève et l’interdiction de le maltraiter, le caractère ludique des programmes des classes d’école primaire consacrent la justesse de jugement des philosophes du XVIe siècle.